Témoignage d'un soldat de Montmahoux en 1914
D’un soldat de Montmahoux (Doubs)
Nous veillons sept heures de suite par nuit. De jour on est tranquille. Les uns fument, les autres jouent aux cartes. Ce que j’aimerais, ce serait un petit livre où il y aurait l’ordinaire de la messe, les vêpres et quelques prières pour m’occuper dans la journée. Pendant ma veillée d’armes, je récite deux fois mon rosaire entier, en union avec les prières qui se disent au pays natal, et trois chapelets
pour les morts, un pour mes parents, un pour les âmes délaissées,
et le troisième pour les soldats morts dans la journée. Si j'ai du
temps, je chante les vêpres à voix basse et je rêve au pays.
Je vous dirai que je n'ai pas encore trouvé le temps long. C'est
sans doute les prières du pays qui produisent cet effet-là.
Je suis toujours sain et sauf, la santé est toujours excellente. Deux
fois déjà j'en ai échappé belle. Le 30 octobre, à un combat, une balle
a percé mon soulier, et une autre a frôlé ma tête. Le Sacré Cœur et
la bonne Vierge de Lourdes me protègent. Je leur demande tous les
jours de me donner le courage, l'endurance, et aussi de me ménager
les joies du retour pour redoubler de zèle au pays natal pour leur
culte.
Je vous remercie du petit cadeau que vous m'avez envoyé ; je l'ai
aussitôt épinglé sur ma poitrine, à côté d'une médaille du scapu-
laire et de Jeanne d'Arc. Vous dire la quantité de soldats qui portent
ostensiblement des médailles à leur cou ou sur leur capote est
incroyable. Malgré quelques rares penseurs libres qui prônent encore
leurs idées avancées, la foule de ces hommes d'âge mûr pense et
croit comme nous.
Là où les offices religieux peuvent se célébrer, les églises débordent
de soldats. J'en connais de terribles de Montmahoux, d'Eternoz, qui
assistent à tous les offices où ils le peuvent et pieusement ; quand ils
voient le danger, leurs bons dieux terrestres sont au rancart.
Si jamais je rentre, que de petits documents je pourrai faire
publier pour le succès de la cause catholique et aider ainsi au bon
Dieu à prendre sa revanche !
[Source : Eclair Comtois, 29 décembre 1914]